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L’anosognosie dans la maladie d’Alzheimer

L'anosognosie dans la maladie d'Alzheimer

L'anosognosie dans la maladie d'Alzheimer

Le neuropsychologue Ángel Martínez Nogueras nous expose dans cet article comment se manifeste l’anosognosie dans la maladie d’Alzheimer et son impact sur les activités de la vie quotidienne.

Qu’est-ce que l’anosognosie

L’anosognosie, ou absence de conscience de sa propre maladie ou de son handicap, est un symptôme courant dans diverses affections et maladies neurologiques. Les personnes qui en souffrent ne reconnaissent pas leurs propres limitations cognitives ou motrices, bien qu’elles soient évidentes pour les autres. Cette absence de conscience n’est pas due à un déni délibéré ou à un manque de compréhension de soi-même ou de l’environnement, mais à une défaillance de l’autoperception causée par une lésion cérébrale. Facile à définir, mais difficile à comprendre et à tolérer pour ceux qui accompagnent le patient atteint d’anosognosie au quotidien, y compris les professionnels.

Le déficit de conscience de la maladie ou anosognosie est, avec l’amnésie, l’une des altérations qui génèrent le plus de bibliographie sur la maladie d’Alzheimer. Cependant, cette attention que reçoit l’anosognosie dans le domaine de la recherche n’a pas su être transmise au quotidien, c’est-à-dire à ce que les familles et les professionnels savent de cette altération. En fait, la majorité des familles qui se rendent en consultation de « neuro » le font sans la moindre idée que l’anosognosie puisse même exister. Quant à l’idée qu’elles pourraient avoir de l’importance de sa compréhension et de sa gestion dans le cadre familial, n’en parlons même pas.

L’anosognosie en chiffres

Bien que les chiffres soient très variables, probablement en raison de l’absence d’unanimité dans son approche et d’une mesure « gold standard » pour son évaluation, on estime qu’entre 20 % et 80 % des patients atteints de MA présenteront un déficit de conscience de la maladie à un moment donné de l’évolution de la maladie (Starkstein, 2014). Si l’on restreint le point de vue et que l’on se concentre sur les phases prodromique et préclinique, c’est-à-dire au stade le plus précoce de la maladie, le désaccord est encore plus grand.

Dans ces cas, les données disponibles ont été très contradictoires, alternant des études qui trouvaient des preuves d’anosognosie dans les phases initiales de la MA avec d’autres qui n’en trouvaient pas (Roberts et al., 2009 ; Spalletta et al., 2012 ; Piras et al., 2016). Cependant, peu à peu, cette question commence à se clarifier, et une série de découvertes récentes confirme des signes d’anosognosie chez des sujets présentant un trouble cognitif léger ainsi que dans les phases préclinique et prodromique de la MA (Guieysse et al., 2023).

Les estimations suggèrent qu’au moins 10 % de ces patients pourraient présenter un déficit de conscience de la maladie, ce pourcentage augmentant progressivement à mesure que les différentes phases de la maladie avancent.

Anosognosie dans la maladie d’Alzheimer

Cette découverte de l’anosognosie précoce n’est pas triviale, car elle constitue un signe très pertinent dans l’évolution du patient, et la détecter le plus tôt possible peut nous alerter sur ce qui peut se produire par la suite. En ce sens, les informations recueillies sur l’anosognosie suggèrent que sa présence précoce est associée à un risque accru de progression du trouble cognitif léger vers la maladie d’Alzheimer, à un pronostic d’évolution de la maladie plus défavorable, à une surcharge familiale plus importante, à une plus grande sévérité des symptômes psychopathologiques tels que l’apathie, les délires, la dépression, l’anxiété, l’irritabilité, l’agitation ou la désinhibition, et, en outre, à un déclin cognitif de type amnésique et dyséxécutif (Starkstein et al., 2006 ; De Carolis et al., 2015 ; Mak et al., 2015 ; Gerretsen et al., 2017 ; Vannini et al., 2017).

Au niveau neuroanatomique, comme c’est le cas pour tout processus cognitif, il n’existe pas de lieu spécifique où réside la capacité à prendre conscience de sa maladie ou de sa santé ; il faut penser que cette capacité ou fonction émerge de l’activité combinée de multiples régions cérébrales, c’est-à-dire d’un réseau neural. Ainsi, l’anosognosie s’expliquerait par un dysfonctionnement ou une déconnexion entre les régions cérébrales impliquées dans l’accès, la récupération et la mise à jour de l’information (ligne médiane postérieure, temporal médial, cortex pariétaux inférieurs), dans son suivi, son évaluation ou son contrôle (cortex préfrontal médial et latéral), ou dans l’introspection et la conscience de soi (cortex cingulaire antérieur et postérieur et précuneus).

Bien que la bibliographie sur le sujet soit très vaste et pourrait alimenter plusieurs articles de blog, en général, les études de neuroimagerie montrent que l’anosognosie dans les stades initiaux de la maladie d’Alzheimer pourrait être liée, plus qu’à des changements structurels, à un hypométabolisme et à une hypoconnectivité cérébrale dans des régions telles que le cortex cingulaire antérieur et postérieur, le précuneus, les lobes temporaux médians bilatéraux, le lobe temporal latéral droit et le cerveau basal antérieur, c’est-à-dire des régions typiquement associées à la MA (Starkstein, 2014 ; Senturk et al., 2017 ; Vannini et al., 2017 ; Salmon et al., 2023).

Jusqu’à présent, nous avons décrit ce qu’est l’anosognosie et sa neuroanatomie, mais comment l’anosognosie émerge-t-elle du dysfonctionnement cérébral ? Sur le plan cognitif, comportemental ou émotionnel, qu’est-ce qui ne fonctionne pas ? Il existe plusieurs théories ou façons d’expliquer les bases de l’anosognosie, peut-être l’une des explications les plus répandues est-elle celle proposée par le Cognitive Awareness Model (CAM), un modèle modulaire de type cognitif qui relie l’anosognosie à des déficits amnésiques et exécutifs.

En résumé, selon le CAM, il y aurait trois facteurs liés à l’anosognosie : l’un, lié au déficit de consolidation de nouvelles informations mises à jour sur soi-même ; un autre, lié à un déficit dans le processus de comparaison entre nos capacités actuelles et passées ; et le troisième, lié à un déficit dans le processus de mise à jour de l’état cognitif de la personne.

Cependant, je propose ici une autre idée intéressante qui pourrait élargir la perspective précédente sur l’anosognosie : l’hypothèse mécaniste à double voie. Cette hypothèse suggère que ce sont à la fois les systèmes de surveillance des erreurs et ceux de traitement émotionnel qui sont les éléments clés de la conscience de soi, avec des impacts différents sur l’apparition de l’anosognosie dans la maladie d’Alzheimer.

D’une part, une défaillance du système de surveillance des erreurs, qui aurait un impact direct sur la conscience de l’erreur, empêchant ainsi les patients de prendre conscience de leur maladie face à des erreurs même simples. D’autre part, un déficit du système de traitement émotionnel, où les patients seraient capables de détecter leurs erreurs, mais incapables de leur attribuer une valeur émotionnelle adéquate, ni de comprendre leurs conséquences et d’adapter leur comportement en réponse à celles-ci. Et, enfin, la situation la plus grave des trois, dans laquelle échouent à la fois la surveillance des erreurs et le traitement émotionnel, aboutissant à un patient incapable d’apprendre de ses erreurs ni d’adapter son comportement (Andrade et al., 2023).

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Impact de l’anosognosie dans la vie quotidienne

Comment tout cela se traduit-il dans la vie réelle ? Examinons le déficit de conscience de la maladie du point de vue d’un cas clinique réel avec une jeune femme.

Femme de 61 ans, diagnostiquée avec la maladie d’Alzheimer à 58 ans, et qui, après 3 ans d’évolution depuis le diagnostic, se trouve en phase légère selon l’Échelle de Déclin Global (GDS) de Reisberg. Elle présente un déficit mnésique antérograde épisodique, de légers signes de désinhibition, de la suspicion, des troubles du sommeil, une labilité émotionnelle, un épisode isolé de désorientation spatiale et un déficit de conscience concernant son amnésie et sa capacité à réaliser certaines activités de la vie quotidienne (AVQs).

Toujours indépendante pour toutes les AVQ de base et pour certaines instrumentales. Femme au foyer et bonne cuisinière de toujours, elle commet maintenant des erreurs en cuisine, certains plats manquent d’ingrédients ou en ont trop, parfois elle les brûle ou les laisse crus, elle s’est brûlée à deux reprises en mettant les doigts dans l’huile chaude de la poêle pour retourner un aliment, elle laisse se gâter des aliments périssables dans le réfrigérateur (elle ne se souvient plus de la date d’achat) et elle accumule plusieurs paquets des mêmes aliments dans les placards de la cuisine, manquant d’autres de consommation habituelle. Pourtant, elle continue de vouloir cuisiner et sortir faire les courses, même si elle oublie les produits de la liste de courses avant de quitter la maison, ce qui expose à un risque d’intoxication alimentaire, de blessures par coupures et brûlures, ou de se faire escroquer lors de paiements dans un commerce.

Ses proches, inquiets, lui disent qu’elle perd ses facultés, qu’elle ne prépare plus aussi bien tous les repas et qu’elle devrait se laisser aider en cuisine. À ces moments-là, elle nie tout catégoriquement, se met très en colère et ne reconnaît jamais sa limitation dans cet aspect de la vie quotidienne. En consultation, elle ne reconnaît pas non plus ces déficits. Cette situation génère des disputes continues, des conflits, de l’agressivité verbale, de la suspicion et est une source importante de troubles émotionnels et de surcharge pour le conjoint et les enfants.

L’anosognosie a un impact profond sur la vie quotidienne des personnes affectées et de leurs familles. Pour la personne atteinte d’Alzheimer, l’absence de conscience peut la conduire à une fausse sensation de sécurité, augmentant ainsi le risque d’accidents et d’exposition à des situations dangereuses. Pour les aidants et les proches, l’anosognosie ajoute une lourde charge émotionnelle et des défis pratiques, car leurs efforts pour aider ou protéger leur proche peuvent être rejetés ou mal interprétés, générant des conflits et de la frustration. Notre travail consiste à faire comprendre aux proches que leur femme ou leur mère n’est pas simplement têtue et qu’il ne s’agit pas d’un refus de reconnaître qu’elle a besoin d’aide à la maison, mais qu’il y a un mécanisme neurobiologique défaillant qui l’en empêche, à savoir le processus de balayage et de supervision de l’état de santé par rapport à la réalité. Parfois, je leur donne l’exemple que faire entendre raison à leur proche est comme demander à quelqu’un de conduire une voiture sans moteur. C’est tout simplement impossible.

Conclusions

L’anosognosie dans les stades initiaux de la maladie d’Alzheimer peut être un catalyseur de situations difficiles à résoudre qui affectent à la fois le patient et son entourage, car on peut se retrouver avec une personne ayant des déficits cognitifs déjà perceptibles dans son niveau d’exécution des activités de la vie quotidienne, mais qui ne les reconnaît pas et qui se montre encore comme une personne active, avec sa propre initiative, indépendante pour réaliser les activités de la vie quotidienne de base et instrumentales, et, ce qui est très important, qui conserve encore l’idée de jouer un rôle actif de soin et d’organisation au sein de la famille. L’anosognosie dans la maladie d’Alzheimer est un défi complexe, c’est pourquoi il est essentiel que les professionnels et les proches comprennent cette condition pour offrir une prise en charge adéquate et améliorer la qualité de vie des patients.

Comme l’a dit le neuroscientifique Antonio Damasio : « Nous sommes les histoires que nous nous racontons à nous-mêmes ». L’anosognosie montre comment ces histoires peuvent être déformées, avec des conséquences dévastatrices pour l’identité et les relations personnelles.

Bibliographie

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